Rencontre : Jean-Bernard Callet, globe-troter du bijou

C'est l'histoire d'un petit gars de Saint-Chamond (Loire) pas très bon en classe. A part peut-être en maths et en dessin. L'alchimie prend. Jean-Bernard Callet est repéré par son instituteur. Et le jeune adolescent réussit son concours à l'école de bijouterie.
Ses expériences chez un maître joaillier lyonnais et une entreprise de design parisienne lui permettent ensuite de se lancer dans l'aventure guyanaise. Une aventure qui ne le quittera plus.
Rencontre avec un bijoutier tour à tour artisan, enseignant et entrepreneur connu de Saint-Pierre, à Papeete, en passant par Grand-Baie.

"Tu retrouveras tous les Callet dans un périmètre de 40 kilomètres autour de Saint-Chamond. A part moi peut-être". Assis à son établi de la rue Archambeaud, Jean-Bernard Callet revendique sa condition d'électron libre. Avec la tchatche, cet artisan au physique à la Bigard parle de ses premières années. Une enfance modeste dans la Loire, une vocation d'agriculteur brisée par la perte des terres familiales, le jeune Auvergnat cherche sa voie au gré de dix-sept déménagements entre Lyon et Bordeaux : "Je fais partie des gens dyslexiques. La classe, c'était pas trop mon truc", affirme-t-il. Il est heureusement des instituteurs clairvoyants. Son maître de CM1 le jure, Jean-Bernard est doué en dessin et en maths. Il ira donc en pension à 65 kilomètres de Lyon : "Les Leborgne (ndlr : enseignants de dessin) m'ont quasiment adopté. Ils ont bien dit à ma mère que je pouvais faire les Beaux-arts. Mais elle n'avait pas les moyens", confie le commerçant. Les établissements lyonnais feront bien l'affaire.Le voici à 14 ans brillamment reçu aux concours des écoles de fourreurs, maîtres paysagistes, esthétique et bijouterie : "J'ai choisi cette dernière. 24 heures d'atelier et 16 heures de cours par semaine, ça ne chômait pas", se souvient-il. Passés les trois mois d'essai, les contraintes pécuniaires se font de nouveau sentir : "Chaque élève devait acheter pour 10 000 F d'outils. Et c'est l'un de mes professeurs, Monsieur Coq, qui m'a avancé la somme", explique-t-il. Un coup de pouce payant. Voilà Jean-Bernard affublé de son certificat d'aptitude professionnelle (CAP) à 15 ans : "J'étais cette année-là le plus jeune diplômé de France. La passion sans doute", souffle-t-il.Le temps de l'apprentissage débute à la maison Gerphagnan. Pompadour et bagues à l'ancienne l'initient à la soudure à l'étain. Quelques mois plus tard, rigueur et doigté sont toujours de mise. Maison Millet cette fois-ci : "Ils faisaient de la petite bijouterie montée à la main. Il fallait apprendre à respecter les cotes. Pas évident", note-t-il. Moins évident encore lorsque le maître joaillier qui l'accueille depuis peu masque jalousement ses sertissures : "Jacques Lacour était un grand. Mais cette manière de dissimuler son savoir-faire ne fait toujours pas partie de ma philosophie", assène Jean-Bernard. Côté finances, ça marche plutôt bien. Le plein emploi est encore au rendez-vous en cette année 1976. Et la mode des gourmettes en lettres découpées fait rage : "Certains joailliers ont tout plaqué pour s'y consacrer. Il se faisaient des salaires mensuels d'une brique quand le Smic était à 1 200 francs…", lâche-t-il avant de rappeler que "beaucoup n'étaient plus dans le coup, passé cette période".En bon provincial, Jean-Bernard décide alors de mettre le cap sur la capitale. Direction le Marais. Avec un nouveau métier dans le collimateur : "Je me sentais à la hauteur pour devenir maquettiste designer. On a présenté plusieurs collections de bijoux. Nous travaillions aussi avec les grands couturiers", précise l'ancien chef designer de Beauce atelier.Après une parenthèse lyonnaise où notre truculent bijoutier décroche le premier prix mondial de la boucle d'oreille en dessinant "l'Arc diamant" pour De Beers, cap est mis sur l'Amérique du Sud. Deux mois pour retrouver une tendre et chère au Brésil. Et voici Jean-Bernard les mains dans les poches dans les rues de Cayenne (Guyane française) : "Dans ma profession, c'était le pays des pionniers. De l'or, il y en avait. En poudre et à l'état brut. Alors soit tu sais tout faire toi-même, soit tu ne sais rien faire", prévient-il. Un forgeron polonais nommé Andrzejewski lui donne sa chance en l'engageant dans sa boutique. La sauce prend très vite à "Trésor Nature". Jean-Bernard monte des bagues de trois carats de diamants sur l'or guyanais. Payé 10 000 francs pièce, il en fabrique trois à quatre par mois. C'est tout bénef : "Le patron revenait avec ses pierres du Brésil. Il nous filait les sachets d'or par 100 grammes. On n'était pas angoissé par la perte", dit-il un brin nostalgique. Car la Guyane évoque aussi cette époque d'insouciance où, à son arrivée sans le sou du Brésil, un ami lyonnais bijoutier lui offre gîte et couvert : "Avec tous mes potes, c'était la java du soir au matin. On avait monté une boîte de nuit en collaboration avec Cayenne FM. Je peux te dire que ça défilait", rigole-t-il. L'euphorie règne. Jean-Bernard n'a que 23 ans. Le monde lui appartient : "J'ai fait ma première grosse erreur. J'ai dis au revoir à mes amis. Et pris mes valises pour Paris", lance-t-il.Car l'époque bénie du salarié choisissant entreprise et salaire est terminée. En métropole, le début des années 80 marque la crise des petits artisans. Le bijou de haute consommation pointe son nez. Mailles creuses, uniformisation et sous-traitance se généralisent : "Il fallait faire les bijoux les plus légers possibles de manière à économiser la matière première", note-t-il. En dépit d'un prix de l'innovation chez Gold Center, la petite entreprise qu'il monte entre Nîmes et Montpellier avec un associé périclite. Avec impayé de 50 000 F et fuite dudit associé : "C'était un retour à la case départ. Je suis allé à la Poste. Rayon Pages jaunes. Et j'ai envoyé mes CV pour 2000 francs de timbres à l'ensemble des bijoutiers d'outre-mer", rapporte-t-il. Echo favorable à la Réunion. La nostalgie domienne est payante. Nous sommes en 1985. Gérard Papaya, dont la boutique se trouve devant la prison de Saint-Denis, le fait venir. Mais c'est rue Archambeaud à Saint-Pierre qu'il officie un mois plus tard : "Réunion Bijoux Création m'a débauché en remboursant mon billet. Tout a très bien marché jusqu'en 1991. Je dessinais tous les modèles et les montais", assure Jean-Bernard.1991 marque son licenciement économique. Reclassement à l'ANPE, formations diverses et variées, le Couramiaud ne se démonte pas. Il reprend la bonne vieille méthode des Pages jaunes : "J'ai écrit à l'atelier Or et Perles de Papeete. Ils cherchaient justement quelqu'un pour la collection du centenaire de la ville", indique-t-il. Loin du cliché des mers du Sud, l'installation de Jean-Bernard s'avère plutôt précaire. Logé dans le quartier chaud des rérés (travesties polynésiennes plutôt costauds), escroqué sur son salaire payé en CFP 15 000 francs (soit moins de 800 francs français), Jean-Bernard prend son mal en patience : "J'ai malgré tout pu créer le trophée de Mareva (Miss Tahiti 1990 et Miss France 1991). Une triple broche aux lettres serties de diamants d'une valeur de 300 000 francs français", indique-t-il.La relève viendra de l'île sœur. Un fax tombe. Le gouvernement mauricien recherche un enseignant pour l'IVTB, l'école nationale de bijouterie. Contrat renouvelable tous les ans de 18 000 F, voiture et logement de fonction, l'offre est alléchante et contraste quelque peu avec la Polynésie. "Les tropiques étaient quelque peu montés à la tête de mon prédécesseur. Un deuxième professeur m'a rejoint. C'était Pierre Vaillant !", s'exclame-t-il. Dix ans plus tard et quelques kilos en plus, les deux compères se retrouvent ainsi à la tête de 60 élèves. Certains, comme le fils Ravior, réussiront dans la profession.Jean-Bernard est pourtant "viré" la quatrième année : "Je m'élevais contre un certain nombre de détournements qui plombaient les comptes de l'école. Mon contrat n'a pas été renouvelé. Ça ne m'a pas empêché d'être embauché sur le champ par le numéro un de l'horlogerie mauricienne", se félicite-t-il. Avec 200 employés et 11 magasins, l'entreprise de Vicq Chakowa tourne alors à plein régime : "J'étais le numéro deux par défaut. L'arrivée de l'hypermarché Continent en 1995 n'a fait que doper la chose. On m'a donné carte blanche pour y installer notre enseigne Mikado. Et c'est devenu le magasin numéro un", rapporte-t-il. Une réussite que Jean-Albert n'est pas près d'oublier. Le jour de Noël, Vicq Chakowa lui propose de prendre n'importe laquelle des montres en vitrine. Oméga, Christian Dior, Festina, certaines d'entre elles dépassent la centaine de milliers de francs. "J'ai finalement pris la See Mister Automatique. J'ai découvert plus tard dans un James Bond que l'espion de Sa Majesté portait la même. Et pas même en galante compagnie ne la quittait !", glisse-t-il.Quelques mois plus tard, l'alternance politique voit l'arrivée du gouvernement Ramgoolam au pouvoir. Les malversations à la tête de l'IVTB sont rendues publiques. Et Jean-Bernard est rappelé à la tête de l'école : "Je revenais en vainqueur. La République m'offrait par ailleurs la fonction de consultant gouvernemental pour tout ce qui avait trait à la bijouterie", exulte-t-il. Une fonction qui lui permet de rencontrer tous les gros investisseurs des chaînes "Nature et Découverte" et "Champion" : "Je n'y tenais plus. J'ai démissionné de l'école et monté ma propre société".Orcalis, c'est son nom, occupe intensément Jean-Bernard. Une dizaine de salons internationaux par année, une cinquantaine d'ouvriers font de l'entreprise le partenaire privilégié des chaînes précitées. La chute du dollar en 98-99 va cependant mettre un coup d'arrêt à cette nouvelle aventure : "Le gramme d'or est passé de 7,5 à 9 F. Et nos clients continuaient de serrer leurs prix en faisant jouer la concurrence avec les pays d'Europe de l'Est. J'ai donc dû licencier et fermer boutique", soupire-t-il.C'est ainsi qu'un beau jour de décembre dernier, Jean-Bernard et sa femme débarquent à Saint-Pierre. Un retour impossible sans des amis de longue date comme Suzie Fan : "Mes anciens collègues et employeurs nous ont bien aidés à notre arrivée. Je tiens d'ailleurs à les remercier".Aujourd'hui, le bijoutier de Mineral Design a retrouvé son établi. Une situation qui convient mieux à sa philosophie : "Je retrouve enfin du plaisir à travailler manuellement. Il ne se passe pas un dimanche sans que je mette un coup de patte à un moule en cire ou que je réfléchisse à un nouveau modèle", explique Jean-Bernard.Il entend désormais privilégier le fait-main en montant lui-même les pièces apportées par les clients. Sans oublier l'ambre que sa femme Klaudia, Polonaise, importe directement du tailleur : "Pour moi, l'avenir rime avec l'ouverture d'un deuxième magasin à Saint-Gilles et pourquoi pas à Saint-Denis. Je regarde toujours en avant", conclut-il.

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